Numérique, cloud, virtuel, logiciel, LiDAR, train, réseau ferré… ces termes sonnent relativement « verts ». Mais quel est le réel impact sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) en comparaison des pratiques habituelles ?
C’est la question à laquelle j'ai tenté de répondre pendant mon stade de fin d'études réalisé chez Altametris.
Puisque l'activité de l'entreprise s’articule principalement autour du développement de techniques de traitement et de valorisation des données industrielles pour permettre à ses clients de disposer de connaissances exploitables pour améliorer la maintenance de leurs actifs et optimiser les coûts d’exploitation et d’entretien ; mon analyse s'est principalement centrée sur l’empreinte environnementale d’Altametris Suite.
Altametris Suite, est à la fois une plateforme en ligne de visualisation de données et un service de traitement de données à grande échelle.
Pour fonctionner, Altametris Suite sollicite des services de cloud computing : cela consiste à accéder à des ressources informatiques à distance à la demande, comme des serveurs, des machines virtuelles ou du stockage. Cela confère beaucoup de flexibilité sur l’accès à des ressources adaptées aux besoins, sans avoir à posséder ni gérer les infrastructures.
Puisque l'objectif d'Altametris est de contribuer à optimiser la maintenance du réseau ferré grâce au numérique, le traitement et l'analyse d'une très grand volume de données est nécessaire.
Chaque jour se sont plus de 3 To de données brutes LiDAR qui sont traitées !
De façon générale, il faut savoir que le numérique est responsable de 4% des émissions de GES mondiaux [1] : c’est deux fois plus que l’aviation. En France, c’est 2.5-3% [2], [3] de l’empreinte carbone du pays, soit plus que le secteur des déchets. Cela peut sembler dérisoire, mais ce pourcentage représente en réalité des chiffres réels colossaux et qui sont en augmentation constante.
Comment expliquer cette forte empreinte ? En réalité, derrière ce monde « dématérialisé », c’est toute une infrastructure matérielle mondiale qui est mobilisée :
La multiplication des équipements que nous utilisons, couplée au sentiment "d’abondance énergétique" dans lequel nous vivons est le principal danger du secteur du numérique. Le numérique est un environnement bien matériel, et cette matérialité a des impacts variés : la destruction d’écosystèmes pour le minage, les nombreux métaux rares utilisés, la pollution et la consommation d’eau, la consommation d’énergie pour les infrastructures, les émissions de GES, les déchets électroniques…
L’infographie suivante présente pour le secteur du numérique un résumé des impacts environnementaux et leurs causes.
Si l’ambition du cloud est de mutualiser les usages et de faire baisser la demande énergétique ; évitant au passage d’avoir plusieurs serveurs d’entreprise couteux et mal optimisés dans leur utilisation et leur gestion ; et de rassembler les utilisateurs dans de plus grosses infrastructures mieux gérées ; ce n’est malheureusement pas ce qu’on observe depuis 2010 [4].
Les gains d’efficacité fréquents dans la gestion des data-center ne sont pas perceptibles sur la consommation finale du fait de l’augmentation des usages. Ceci illustre parfaitement un effet rebond [5], [6]. L’usage de services cloud payés à l’usage par les entreprises donnent l’impression de capacité de stockage et de calcul infinis : les utilisateurs n’ont plus les mêmes barrières physiques qu’avant, ils ne maitrisent plus autant leurs données et leurs requêtes du fait de la hausse de confort.
Mais s'agissant d'Altametris Suite : où se situent les services numérique proposés dans la machinerie mondiale du numérique ?
En se basant sur la consommation facturée des usages cloud, et en appliquant les principes de la comptabilité carbone avec les facteurs d’émission à disposition ([7]–[9]), en 2022, l’empreinte carbone d’Altametris Suite s’élève à 14,4 tCO2e, soit l’équivalent des émissions de 64 000 km en voiture. Ils représentent 10% des émissions totales de l’entreprise.
À quoi ces impacts sont-ils dus ? Mon étude a permis de montrer qu’ils découlent en grande majorité (79%) de l'utilisation de vCPU, c’est-à-dire des processeurs virtuels : 44% de cet usage est lié à l'utilisation de container, des ressources qui permettent de réaliser les traitements sur les données confiés à l'entreprise.
Pour être capable de mettre à disposition des connaissances les plus complètes et les plus précises possibles, il est nécessaire de compiler de gros volumes de données et de réaliser des traitements lourds. 30% des impacts des vCPU sont liés aux bases de données et 24% aux App Services, donc aux serveurs utilisés pour faire fonctionner les services proposés par l'entreprise.
En outre, les usages de vCPU sont nombreux en raison de la taille des données traitées, ce qui explique les 21% d'émissions restantes dues au transit (les données ont circulé au moins une fois sur le réseau internet) et au stockage des données en question.
La part utilisateur est très faible (< 1%) car le périmètre de l’étude concerne les usages des services Altametris Suite, donc les ordres de grandeurs en jeux ne sont pas significatifs.
Mais que penser du résultat absolu ? Les émissions de CO2e sont équivalentes aux émissions de la combustion de 4500 L de diesel, ce qui représente environ 30 baignoires. Plusieurs raisons expliquent ce chiffre important pour Altametris :
Mais tous ces usages cloud, et en particulier les traitements, sont également à l’image de la qualité de service que propose l’entreprise quant à la valorisation des données, pour permettre aux utilisateurs de se consacrer aux tâches à haute valeur ajoutée, à savoir l’analyse et l’intervention.
La partie précédente a permis de dresser le bilan global des activités numériques de la société. Ces traitements, réalisés en gros volume, répondent au besoin de contribuer à l'amélioration des performances de maintenance du réseau, et ce à l'échelle nationale. C'est ce pourquoi l'entreprise œuvre.
Ces traitements ont des finalités économiques intéressantes pour la maintenance du réseau, mais qu’en est-il du point de vue des indicateurs environnementaux ? N’y a-t-il pas plus de pollution générée par les méthodes classiques par rapport aux approches numériques ? Et quid de l'amélioration de la performance du réseau ferré national contribuant à décarboner les transport ? C’est également une question que se posait l'entreprise.
Pour commencer, nous avons fait l'exercice de comparaison sur le cas d'usage du ballast (le lit de pierres sur lesquels reposent les voies). Son rôle est crucial dans le maintien de stabilité de la voie pour assurer des conditions de circulation des trains en toute sécurité.
Jusqu'à présent, les voies sont inspectées à pied par les agents pour vérifier la conformité des niveaux de ballast. Cette approche relativement subjective et sécuritaire amène une surconsommation de ballast.
Sans méthode numérique | Avec méthode numérique |
Des inspections pédestres subjectives et peu précises avec beaucoup de déplacements en voiture | Des trains diesels qui scannent tout le réseau avec plusieurs capteurs dont le LiDAR |
Du ballast commandé et répandu en excès par approche systématique sécuritaire | Des traitements volumineux mais précis pour optimiser la performance du réseau (disponibilité et fiabilité au moindre coût) par une utilisation au plus juste de la quantité de ballast |
L’exploitation des données LiDAR du réseau permet un état des lieux précis des volumes de ballast sur les voies, ce qui permet d’optimiser les quantités de ballast à renouveler mais aussi d’optimiser les tournées de maintenance qui sont onéreuses et chronophages. Et donc d’assurer en même temps, un niveau de qualité conforme aux référentiels de sécurité en vigueur.
De quel côté penche la balance des avantages et inconvénients de chaque approche ?
Les calculs montrent que, bien que le traitement de données et leur transformation en connaissances admette une empreinte carbone non négligeable pour l’entreprise, une fois mis en œuvre, ils peuvent contribuer à diminuer de 11 à 24% l’empreinte environnementale de la maintenance du ballast, ce qui représente entre 350 et 800 tCO2e pouvant être évités chaque année.
Les gains les plus important découlent directement de l’exploitation des données : chaque tonne de ballast pouvant être optimisée contribue activement à réduire les émissions de cette thématique de maintenance.
Au final, ma mission a permis d’éclairer Altametris sur l’impact environnemental de ses usages numériques, qui sont au cœur de son activité. Le travail que j’ai réalisé permet de mieux comprendre où se situent les impacts à son échelle, tout en faisant comprendre dans quelle problématique plus globale ils s'inscrivent.
Nous avons vu que les usages cloud sont conséquents et impactant, puisque le volume de données à traiter l’est aussi, mais qu’ils permettent de réduire fortement l’empreinte carbone des opérations de maintenance.
Altametris s’est questionnée elle-même sur l’éthique de ses activités, et cette démarche est important à souligner et à encourager dans la prise de conscience de sa responsabilité environnementale. Ce premier travail et résultat est encourageant, mettant en évidence l'attention à porter sur le bon usage du numérique et à poursuivre l'analyse sur tous les cas d'usages (avec mesure en macro) pour identifier les gains apportés par Altametris Suite à la performance du réseau ferré incluant la baisse d'émission de gaz à effet de serre.
Je remercie grandement toute l’équipe d’Altametris pour son accueil chaleureux durant ces 6 mois. Merci à toutes ces personnes qui m’ont aidé dans mes recherches et pris le temps de partager leurs connaissances avec bienveillance. Je remercie l’équipe lyonnaise pour leur jovialité quotidienne, et tout particulièrement Luc PERRIN, pour son soutien attentif tout au long de mon stage, ses conseils avisés et son attitude positive.
[1}Bordage et GreenIT.fr, « Etude : Empreinte environnementale du numérique mondial», sept. 2019. [En ligne]. Disponible sur: https://www.greenit.fr/wp-content/uploads/2019/10/2019-10-GREENIT-etude_EENM-rapport-accessible.VF_.pdf
[2] F. Bordage, L. de Montenay, et O. Vergeynst, « Etude : « iNum2020 », Impact environnementaux du numérique en France », janv. 2021.
[3] Y. Aiouch et al., « Evaluation environnementale des équipements et infrastructures numériques en France », Ademe et Arcep, France, janv. 2022.
[4] IEA, Global trends in internet traffic, data centres workloads and data centre energy use, 2010-2020. 2022. Consulté le: 1 mars 2023. [En ligne]. Disponible sur: https://www.iea.org/data-and-statistics/charts/global-trends-in-internet-traffic-data-centres-workloads-and-data-centre-energy-use-2010-2020
[5] Bon Pote, « Propos 5 : Paradoxe de Jevons et effet rebond », Bon Pote, 4 avril 2020. Consulté le: 11 décembre 2022. [En ligne]. Disponible sur: https://bonpote.com/propos-5-paradoxe-de-jevons-et-effet-rebond/
[6] F. Schneider, « L’effet rebond », L’Ecologiste, vol. 4, no 3, p. 45, oct. 2003.
[7] « NegaOctet ». avril 2023. Consulté le: 27 avril 2023. [En ligne]. Disponible sur: https://negaoctet.org/
[8] J. Aslan, K. Mayers, J. G. Koomey, et C. France, « Electricity Intensity of Internet Data Transmission: Untangling the Estimates: Electricity Intensity of Data Transmission », J. Ind. Ecol., vol. 22, no 4, p. 785‑798, août 2018, doi: 10.1111/jiec.12630.
[9] Cloud Carbon Footprint, « Methodology », Cloud Carbon Footprint. https://cloud-carbon-footprint.github.io/docs/methodology (consulté le 1 juin 2023).